Réponse à la rectrice qui a expulsé 150 personnes de l’ULB

Ana_Daks
5 min readFeb 22, 2024

Madame la rectrice,

Ce 16 février, plus d’une centaine de demandeurs d’asile et membres du collectif « Stop crise accueil » ont essayé d’occuper un bâtiment de l’ULB. Vous avez refusé tout dialogue et avez immédiatement ordonné à la police de procéder à une expulsion, sans vous soucier de ce qu’il allait advenir des occupants ce soir-là.

Vous avez trouvé important de préciser que votre demande était bien une expulsion sans violence. Pour moi, cela sous-entend deux choses :

  • vous pensez que mettre des personnes à la rue en pleine nuit, sans aucune autre solution de logement, ne constitue pas une violence en soi;
  • vous êtes assez déconnectée de la réalité de ce monde pour croire que la police peut expulser des demandeurs d’asile sans atteindre leur intégrité physique.

C’est navrant.

Dans votre carte blanche, plusieurs choses sont très justes. Je soutiens toutes vos accusations envers le gouvernement. En effet, l’Etat belge a été condamné plus de 8000 fois par les juridictions nationales, et 1200 fois par la Cour européenne des droits de l’Homme pour non-respect des droits des demandeurs d’asile. Il en résulte que 3000 personnes qui ont fait la demande de protection internationale dorment sur les trottoirs, alors que la loi prévoit (entre autres) la mise à disposition d’un logement. Cette situation est, comme vous le soulignez, inacceptable.

En vous adressant au Premier ministre, aux Vice-premiers ministres, ministres et secrétaires d’Etat du gouvernement fédéral, vous écrivez :

“Dans quels pays voit-on un gouvernement s’asseoir sur ces principes ? Nier des milliers de décisions de justice qui vous rappellent vos obligations européennes et internationales ? Rester sourd aux appels de centaines d’académiques et de milliers de citoyennes et de citoyens qui se voient contraints d’assumer les responsabilités d’un Etat déficient ?”

J’ajouterais qu’il ne s’agit pas d’un simple manque d’action, mais aussi du choix proactif de fermer plusieurs centres d’accueil, tout en refusant d’activer des leviers simples plaidés par les associations de terrain (par exemple : le plan de dispersion par commune, l’activation de la phase fédérale de crise qui permettrait au gouvernement de saisir des logements vacants, etc.).

“Vous n’obéissez pas à la loi et, ce faisant, vous poussez les demandeurs d’asile et les associations qui les défendent de venir frapper à la porte, voire à la forcer, auprès de ceux qui ont à cœur de faire ce qu’il est possible pour les aider.”

Il me parait malvenu de vous inclure dans“ceux qui ont à coeur de faire ce qu’il est possible pour les aider”, parce que vous n’avez aidé exactement personne vendredi, votre seul impact est d’avoir blessé physiquement 3 hommes, dont un qui a dû être évacué par ambulance.

“L’ULB est en première ligne, de ce point de vue : au cœur de Bruxelles, animée par des valeurs qui devraient être les vôtres, notre université a, à plusieurs reprises, accueilli des centaines de demandeurs d’asile et leur a offert des soins et des services — toutes choses que, normalement, l’Etat doit assumer.”

Bien sûr que l’on sait que l’ULB a déjà accueilli des centaines de demandeurs d’asile. C’est pour cela qu’ils pensaient qu’ils ne se feraient pas jeter dehors sur vos ordres.

Bien sûr que l’on connaît les valeurs de l’ULB, l’institution que vous avez transformé en bras armé de l’Etat criminel que vous dénoncez.

Et bien sûr que c’est la responsabilité de l’Etat de respecter ses propres lois — cela ne signifie pas que vous recevez un laissez-passer pour de l’indécence : vous êtes tenue de respecter les valeurs que défend votre institution, même (et surtout) quand l’Etat échoue.

“Je suis outrée et blessée au plus profond de moi d’avoir dû, vendredi, appeler les autorités communales et la police pour libérer des bâtiments et les rendre à leur fonction première.”

Là, Mme Schaus, vous allez trop loin. Vous n’avez pas “dû” demander aux forces de police de se munir de matraques pour s’en prendre à des personnes qui n’ont pas d’autre choix que de chercher un refuge. C’était un choix délibéré, personne ne vous y a forcé.

Le terrain de basket occupé n’allait pas être utilisé en pleine nuit, donc la fonction première que vous avez rendue à ce bâtiment est son inutilité.

C’est fort d’employer les mots “outrée” et “blessée” dans votre situation : que pensez-vous qu’ont ressenti les gens que vous avez remis sur le trottoir, sans même les regarder ?

“En ne respectant pas les lois dont il doit être le garant, votre gouvernement est criminel. C’est la définition du crime : enfreindre la loi. Vous l’enfreignez tous les jours, et je dois, en tant que rectrice de l’ULB, aujourd’hui, me justifier. Expliquer à ma communauté, à ma fille, pourquoi j’ai dû faire évacuer des gens en détresse, alors que je me bats depuis toujours pour défendre leurs droits.”

Le gouvernement est criminel, mais cela n’empêche que vous avez un choix sur votre propre comportement face aux crimes d’Etat. L’Etat est responsable d’avoir mis des personnes à la rue, et vous êtes responsable d’avoir tout mis en oeuvre pour qu’elles ne trouvent pas de solution.

Je me doute que cela a été difficile à expliquer à votre fille, et tant mieux. Quel genre de personne assumerait facilement ces images d’humains agrippés et jetés dehors, dans le froid?

“C’est l’ULB qu’on accuse aujourd’hui d’inhumanité, alors que la seule responsabilité incombe à votre gouvernement.”

Vous avez l’audace de vous dépeindre en victime de cette situation, simplement car il vous est demandé d’expliquer un choix qui est — je n’en démordrais pas — inhumain.

Chacun.e peut analyser son propre champ d’action et se responsabiliser à son échelle — c’est ce que font les associations et les citoyen·nes engagées, et c’est ce qui est attendu de l’ULB. Votre discours, c’est une claque dans la face de toute la société civile qui se mobilise malgré le fait que ce n’est pas de sa faute non plus.

“Relisez Montesquieu et quelques autres. Pensez un instant à Robert Badinter qui disait : ‘Le droit d’asile est l’honneur de la République ; quand elle manque au droit d’asile, elle se déshonore.’”

Voilà qui est bien suffisant de votre part : citer des auteurs qui promeuvent le droit d’asile, alors que vous avez refusé tout dialogue avec des demandeurs de protection internationale et ordonné leur expulsion. Je me permet de vous suggérer de suivre votre propre conseil et de relire “Montesquieu et quelques autres” : puisque vous pensez que ça peut convaincre le gouvernement, peut-être commencez par vous convaincre vous-même ?

“Demain, avec toute la communauté universitaire, nous réfléchirons et trouverons les moyens d’aider au mieux les demandeurs d’asile, en attendant que vous respectiez vos obligations légales.”

Depuis cette déclaration, l’ULB a débloqué une aide financière. Comme le souligne la carte blanche des groupes étudiants : “c’est une mesure pansement qui ne saurait rattraper l’expulsion du 16 février, et qui ne répond pas à l’urgence actuelle. L’ULB a des possibilités d’action qui dépassent largement la simple aide financière, l’engagement ne se résume pas par la charité ponctuelle.” Je n’aurais pas dit mieux.

Pour conclure, votre carte blanche, je la perçois ainsi : c’est un cri d’injustice, rédigé du haut d’une tour d’ivoire dans laquelle vous lisez Montesquieu au coin du feu, tout en collaborant avec la police pour remettre les demandeurs d’asile sur les trottoirs. Si votre dénonciation de l’Etat est juste, utiliser cet argumentaire pour vous victimiser, c’est pathétique. Soyons réellement allié·es face à l’Etat criminel, et la prochaine fois que des personnes se réfugient au sein de votre université, faites en sorte qu’il y ait une cohérence entre vos valeurs et vos actes.

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