On accuse souvent les féministes de vouloir changer la langue en la féminisant. Qu’est-ce qu’on fait mal aux yeux, avec nos “autrices” et “cheffes” ! Pourtant, personne ne parle du grand massacre de la langue… par les machos.
L’histoire en trois minutes
Comment ils ont tué les noms féminins
La langue française disposait auparavant d’une panoplie de féminins qui ont désormais disparu: philosophesse, vainqueresse, capitainesse, défenderesse, peintresse, etc. Alors, ils sont passés où, ces mots ?
Au 17ème siècle, l’Académie française entreprend une série d’actions volontaristes : des évolutions forcées, contraires au développement naturel de la langue (c’est-à-dire au laisser-faire de l’usage).
Elle commence par décider de “neutraliser” les sonorités : de faire en sorte qu’on entende moins les mots féminins. En gros, ils se sont dit : “on a qu’à dire que les mots qui finissent en e valent aussi pour les femmes, supprimons les termes tels que philosophesse”. Ensuite, ils ont été plus loin… en proposant d’éradiquer tous les noms féminins (surtout ceux de métiers prestigieux, parce que les femmes qui entrent dans des bastions masculins c’est compliqué pour eux, tu vois).
Autrice, par exemple, issu du latin auctor/auctrix, existait au 16ème siècle et tout le monde trouvait ça normal. Mais maintenant des petits relous sur Internet essayent de m’expliquer que je devrais dire auteurE malgré l’incohérence linguistique et historique (et comme ça, le féminin ne s’entend pas en fait, bien ouej.)
La grammaire et Bescherelle (cet enfoiré)
Cette masculinisation de la langue n’a pas affecté que les mots… l’Académie au aussi décidé de changer toute la grammaire tellement ils détestaient les femmes. Avant le 17ème siècle, on utilisait l’accord de proximité : les participes s’accordent avec le nom le plus proche.
Par exemple : les hommes et les femmes sont belles.
Vaugelas, un des premiers membres de l’Académie française, écrit “le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble”. Mais il reconnait lui-même qu’il sera difficile de s’y habituer tant l’accord de proximité est fréquent. Aujourd’hui, la formule du « genre le plus noble » a disparu, remplacée par la non moins douloureuse « le masculin l’emporte sur le féminin ». Au final, le résultat est le même : le masculin est rendu “neutre”, simplement par la décision arbitraire d’un groupe d’hommes sexistes.
Comment on-t-ils réussi ? Les réformes de l’Académie ont été appuyées par des ouvrages de référence. En 1834, la grammaire de Louis-Nicolas Bescherelle contenait une liste des noms qui ne doivent être utilisés qu’au masculin, malgré leur existence au féminin dans l’usage. Cette grammaire, par exemple, a largement contribué à définir l’idéologie du masculin-neutre. Merci Louis-Nicolas !
Les féministes sont entrées dans la danse
La conclusion de cette tirade ? La langue française a souvent représenté un champ de bataille idéologique, et les actions volontaristes féministes, loin de rompre avec une langue traditionnelle intouchée, ne font que s’inscrire dans un combat d’altérations délibérées déjà existant. Les féministes ne détruisent pas la langue, elles réparent les dégâts des masculinistes.
Alors, toi aussi tu as envie de brûler ton vieux Bescherelle ? On organise un bûcher quand tu veux.
Références aka le moment lecture avec Billie
- Viennot, E. (2014). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française. Donnemarie-Dontilly, France : Éditions iXe.
- Yaguello, M. (2002). Les mots et les femmes. Essai d’approche sociolinguistique de la condition féminine. Paris, France : Éditions Payot & Rivages.
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