Le français n’est pas sexiste

Ana_Daks
3 min readJan 11, 2021

J’ai l’impression que c’est une idée acquise : le français serait sexiste et nous, humains progressistes, tentons de le modifier pour le rendre plus inclusif ✊ Et si c’était le contraire ? Et si le français était égalitaire et que la misogynie venait de la manière dont on l’emploie ?

Le féminin n’est pas un dérivé du masculin

Je vais parler de grammaire, mais c’est pas long, promis !

Beaucoup de grammaires présentent les mots féminins comme des simples dérivés des mots masculins. Des chapitres entiers sont dédiés à la “formation des féminins”, pour laquelle il suffirait d’ajouter un -e. Pourtant, cette règle “générale” ne concerne que 6% des noms, nous explique la linguiste Edwige Khaznadar (2007).

De plus, le français est une langue à alternance en genre. Cela signifie que le féminin et le masculin se forment indépendamment l’un de l’autre, par des suffixes ajoutés à une racine commune. C’est le cas de toutes les langues romanes. Ainsi, directeur/directrice proviennent du radical direct-. Une analyse exhaustive des noms communs et des adjectifs montre que “plus de 90% des noms et 100% des adjectifs ont ou une forme unique (élève, collègue, rectangulaire) ou dédoublée à base commune (lecteur/lectrice, rond/ronde)”(pp. 26–27).

Cette différence entre la langue et la manière dont on l’enseigne se traduit dans les grammaires par des pages et des pages de “cas particuliers”, d’incohérences à justifier et de commentaires sur la difficulté à créer le féminin qui “altère” la forme masculine… alors que le féminin altère en fait la racine du mot, tout comme le masculin 🤷‍♀️

La féminisation n’est pas un problème de langue, mais d’idéologie

On le voit dans la difficulté à créer des féminins à partir de structures existantes, telle que l’alternance eur/euse. Si celle-ci est acceptée dans le français moderne, elle n’est pas toujours utilisée. Par ailleurs, Marina Yaguello (2002), linguiste, note que plus la profession est prestigieuse, plus le blocage est grand :

“Le français n’a résisté ni à chanteuse ni à balayeuse, mais il résiste obstinément à docteuse, professeuse”.

Une forme féminine existante peut aussi être éliminée à cause d’une dissymétrie sémantique, car on lui confère une connotation péjorative. Pour cette raison, le terme « maîtresse » est souvent évité lorsqu’il s’agit d’une maîtresse de conférence, au profit de sa version masculine. Je pense que la meilleure stratégie est d’employer ces termes au féminin quand même, afin d’éviter de perpétuer leur aspect péjoratif…au risque de mettre certaines personnes mal à l’aise ! 😳

Dans un autre cas, si la forme existante est épicène et ne nécessite pas d’adaptation, il arrive parfois qu’on y ajoute « femme » en tant que préfixe. Cela renforce l’idée que dans l’esprit du locuteur, il s’agit d’un mot destiné aux hommes. A éviter ! 😬

L’historienne Eliane Viennot ajoute qu’il n’y a pas de raison de croire que le masculin est antérieur au féminin, surtout compte tenu du fait que bien des activités professionnelles étant d’abord familiales, les noms de métiers sont souvent apparus à la fois au féminin et au masculin.

Ces recherches démontrent l’influence des pratiques discursives sur la langue française : la construction linguistique française est égalitaire, mais le discours sur le français (le savoir produit sur celui-ci) ne l’est pas. Ce n’est donc pas tant le français qui est à questionner, mais le savoir qu’on produit à son sujet, et l’utilisation qu’on en fait.

Références

Khaznadar, E. (2007). Le non-genre académique : doctrine de la domination masculine en France. Nouvelles questions féministes, 26, 25–38. doi : 10.3917/nqf.263.0025

Viennot, E. (2014). Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française. Donnemarie-Dontilly, France : Éditions iXe.

Yaguello, M. (2002). Les mots et les femmes. Essai d’approche sociolinguistique de la condition féminine. Paris, France : Éditions Payot & Rivages

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